Lucrèce
DE RERUM NATURA [1,1] Mère des Romains, charme des dieux
et des hommes, bienfaisante Vénus, c'est toi qui, fécondant ce monde placé sous
les astres errants du ciel, peuples la mer chargée de navires, et la terre
revêtue de moissons; c'est par toi que tous les êtres sont conçus, et ouvrent
leurs yeux naissants à la lumière. Quand tu parais, ô déesse, le vent tombe, les
nuages se dissipent; la terre déploie sous tes pas ses riches tapis de fleurs;
la surface des ondes te sourit, et les cieux apaisés versent un torrent de
lumière resplendissante.
[1,10] Dès que les jours nous offrent le
doux aspect du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde,
le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les
troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves
rapides tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait,
aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les
montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et
dans les vertes campagnes, [1,20] ta douce flamme pénètre tous les cœurs, et
fait que toutes les races brûlent de se perpétuer. Ainsi donc, puisque toi seule
gouvernes la nature, puisque, sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière,
rien n'est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et dicte-moi ce
poème que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu
que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse,
faut-il couronner mes vers de grâces immortelles. [...]